Le billet de Loup Rebel
(25 juin 2014)
Suicide par procuration, ou suicide simplement assisté, c’est toujours un homicide aux yeux de la justice. Ma confession ne change rien à cette réalité, mais je voudrais qu’elle fasse avancer le débat sur d’autres plans que celui trop étriqué de la loi, du Code pénal, et du jugement sans discernement. Dans les deux sens d’ailleurs, car derrière un « suicideur » peut se cacher une infinité de personnalités différentes, aux extrêmes diamétralement opposés :
- Une personne généreuse, aimante, forte et courageuse, dotée d’une empathie nettement au-dessus de la moyenne, et capable de faire abstraction de sa personne pour aider un tiers à s’épargner de demeurer dans la souffrance.
- Un psychopathe exsangue d’empathie, pervers, lâche, déterminé dans sa haine meurtrière, sournois fourbe et méticuleux dans ses efforts pour maquiller son crime en suicide.
- Entre les deux, toutes les variantes possibles et imaginables, sans oublier qu’une personnalité n’est jamais tranchée dans le noir ou le blanc, mais présente toujours des facettes multiples en nuances de gris.
Dans quelle situation seriez-vous tenté de suicider votre compagne ?
- Si elle vous le demande ?
- Si elle vous trompe ?
- Si vous ne supportez plus sa souffrance ?
- Si une maladie grave la transforme en légume ?
- Si vous ne supportez plus sa tyrannie ?
- Si « elle » ne vous supporte plus ?
- Ou encore pour hériter de sa fortune ?
Après ces préliminaires, venons-en au vif du sujet.
En ce temps-là, le soleil rendait aux nuits le temps volé jour après jour depuis l’éclosion des violettes et des primevères. Depuis toutes ces années que je prépare son suicide, le moment est venu d’en finir avec la vie de ma femme. Des années d’efforts chaque jour remis sur l’ouvrage de la perversion et du harcèlement dissimulé derrière la comédie amoureuse. Plusieurs fois déjà elle a tenté de mettre fin à sa vie, mais son instinct de conservation est plus fort que tout. Je n’ai pas d’autre choix que de commettre moi-même son suicide, quoi qu’il m’en coûte.
Dans ses précédentes tentatives, le problème qu’avait rencontré ma compagne pour mettre à exécution mon projet était donc lié à cette saloperie d’instinct de conservation, toujours vainqueur, car plus fort que le désir d’en finir avec sa vie. D'où sa demande adressée à moi, son conjoint, de l’aider à commettre son suicide, légitimée par des arguments inspirés de la lecture de Suicide mode d'emploi (écrit par Claude Guillon et Yves Le Bonniec, aux Éditions Alain Moreau, avril 1 985).
Mon épouse et moi vivions dans la tragédie d'un amour fusionnel. Dans ce couple pathétique, les regards portés sur notre vie à deux nous voyaient comme étant totalement assujetti l’un à l’autre, sous l’emprise amoureuse, laissant croire que toutes les limites du fusionnel avaient volé en éclats. Mon plan était sans faille jusque-là.
Mes efforts pour insuffler une obsession suicidaire chez ma femme avaient porté leurs fruits, au-delà même de mes espérances : non seulement ses proches et sa famille étaient convaincus de sa propension suicidaire, mais elle m'a demandé de l'aider à déjouer son instinct de conservation, pour réaliser mon diabolique désir – devenu aussi le sien – d'en finir avec sa vie. Nous le savions tous les deux, et nourrissions l'espoir que notre amour serait assez fort pour nous conduire irrémédiablement vers le passage à l'acte fatal.
Ça, c’est ce que je disais avant le jour fatidique. Ce soir-là, les émotions n’ont pas oublié de me tourmenter, jusqu’à provoquer des tremblements dans tout mon corps. Ne croyez pas qu’il soit facile et naturel de suicider son épouse, même si elle est consentante. Ça pose un réel problème de conscience. Ne vous moquez pas ! Je voudrais bien vous y voir, vous qui riez de voir ainsi mise à nue mon immense lâcheté d’homme faible et sans volonté. D’autant plus que finalement j’ai pris sur moi, et j’y suis tout de même arrivé…
Cette nuit-là, c’est au moment où la lumière du soleil levant s’apprête à blanchir l'horizon provençal qu’a lieu le départ prématuré de ma compagne vers l’inconnaissable monde des ombres éternelles, exode sans retour. Le médecin en charge de délivrer le permis d'inhumer étant acquis à ma cause, rien ne devait laisser place au moindre soupçon, ou à l’ombre d’un doute ; son certificat, vague et imprécis pour épargner la famille, mentionne : « Décès par arrêt du cœur... ». Par pudeur, les règles du savoir-vivre en milieu rural lui interdisent de préciser que l’arrêt du cœur est ici causé par une overdose de produits psychotropes. Malheureusement, son remords additionné à son honnêteté m’a joué un sale tour : en douce, dans mon dos, il a avoué plus tard à ma belle-mère le coup de l’overdose !
Aujourd’hui, plus de vingt ans après, les soupçons vont bon train. Je me demande ce qui m’a poussé à raconter à deux ou trois proches de feu mon épouse cette histoire de « fromage blanc » qu’a ingéré ma femme le dernier soir de sa vie. Une pulsion incontrôlable ? Le remords ? La naïveté ? Ou bien est-ce par défi de jouer avec le feu ? Me prouver que je suis capable de berner tout le monde ? Me suis-je pris pour Dieu tout-puissant, ou son rival Belzébuth ? Toujours est-il que j’ai parlé du cocktail fatal mélangé au fromage blanc. Ce qui est pris pour un aveu de culpabilité, car même si je jure que ce n’est pas moi qui ai mélangé ce cocktail de médicament dans le bol, ça prouve que je le savais… et je suis accusé de complicité d’homicide. En face, mes accusateurs affirment m’avoir entendu dire peu après le décès que c’est moi qui ai fait le mélange fatal. Sans doute étais-je sous l’emprise de l’alcool quand j’ai dit ça… mais je l’ai dit, oui, puisque plusieurs témoins l’affirme.
Suis-je bête et stupide au point de chercher à prouver ma culpabilité ? Voilà qu’aujourd’hui j’en rajoute une couche en revendiquant le statut d’héritier unique de cette défunte, alors que la loi en vigueur à la date du décès ne m’accorde pas ce droit… Ce qui est immédiatement interprété comme un mobile d’homicide.
Alors si je dois expier, qu’au moins mon récit serve à interpeller les consciences. Car le suicide assisté, ou par procuration, pose une vraie problématique sociétale, politique, philosophique, et juridique :
- S’il ne peut pas choisir le moment ni les conditions de sa mort, l’individu est-il libre de vivre ou de mourir ?
- Si cette liberté individuelle nécessite l’intervention d’un tiers pour aboutir, où situer la limite entre la complicité de suicide et l'homicide ?
D'autres pays sur le vieux continent ont fait évoluer leurs lois pour répondre au désir d'une personne d'abréger sa souffrance – physique ou morale – rendant possible et accessible une assistance médicalisée pour passer de vie à trépas en douceur.
À cette confession, je voudrais ajouter deux citations.
La première est de Chaval, humoriste français suicidé en 1968. Son scepticisme transparaît à travers les personnages qu'il dessinait. Il crayonnait des crétins, des imbéciles, mais aussi des désespérés comme lui, avec un humour décalé, corrosif :
« Essayez de vous suicider, si vous avez la malchance de ne pas vous réussir sur le coup, ces cons de vivants mettront tout en œuvre pour vous refoutre en vie et vous obliger à partager leur merde.
Je sais que dans la vie certains moments paraissent heureux, c'est une question d'humeur comme le désespoir et ni l'un ni l'autre ne reposent sur rien de solide. Tout cela est d'un provisoire dégueulasse. L'instinct de survie est une saloperie. »
La seconde citation est de Jacques Attali, conseiller spécial du Président Mitterrand.
« L’euthanasie sera bientôt un des instruments essentiels de nos sociétés futures, dans tous les cas de figure. Dans une logique socialiste, pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste, c’est la liberté, et la liberté fondamentale, c’est le suicide. Le droit au suicide, direct ou indirect, est donc une valeur absolue dans ce type de société. »
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NDA : Ce texte est une fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels serait une pure coïncidence liée au hasard.
Loup
Loup Rebel |
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